L’amour est un ascenseur social

Je vous l’avoue, je cherchais tous les moyens élégants, les moyens légaux, de vous aborder, mais je n’ai pas trouvé, et malheureusement ou heureusement il fallait faire vite.  Je ne me sens donc pas très malin. Mais maintenant, j’y pense, je pourrais vous demander ce que vous lisez, mais je vois bien ce que vous lisez, du Maupassant, et je n’ai strictement rien à dire sur Maupassant, sauf que je vous trouve jolie, d’un air concentré qui me réjouit le coeur, et j’ajouterai que lorsque vous avez levé les yeux pour m’apercevoir, un rien, de la curiosité, un regard de lectrice un moment distraite, quelque chose de négligent et d’éphémère, eh bien j’ai été transporté, et à propos de transport voici votre bus qui arrive.

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C’est du travail pour beaucoup de monde un jour la puissance publique s’en occupera, et nous aurons changé d’époque je veux parler de tous ces regards échangés dans la rue, de cette souplesse électrique de la rencontre puis de sa dispersion,  de notre incapacité à nous mouvoir dans la seule dimension amoureuse, nous qui sommes  des corps habités de leur poids et leur rythme,  et je veux parler de tout ce qui fut esquivé,  de toutes ces rencontres qui ne furent que possibles

le gouvernement qui viendra sera acharné à nous faire rattraper le temps, il y aura sillonnant la ville des agents attentifs et leurs contraventions seront notre injonction : monsieur, madame, vous êtes convoqués à un rendez-vous d’amour, n’oubliez pas de vous munir de ce papier

mesurer la croissance est dans ces conditions  très facile, nombre de contraventions dressées, pourcentage de réussites, niveau de compatibilité et statistiques des adultères, simples aventures charnelles et unions abouties.

Un peuple très amoureux sera un peuple prospère.

Ceci est mon corps  Autoportrait, H&B

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Dès notre rencontre nous nous précipitâmes à la banque et “nous voulons un coffre” et “quel est le taux pratiqué”, nous avions les mains pleines et ce souci de ne rien laisser échapper, le banquier lui-même en convint une telle émotion ça doit chercher dans les, veuillez signer ici.

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L’amour est intégralement politique. Sorti de ça, on ne comprend rien.

Le Produit émotionnellement brut. Un jour on saura ce qu’on a manqué, avant le PEB et ses chiffres compliqués.

La société dans laquelle on vit, il suffit de regarder. L’immeuble construit par la société de Prévoyance générale, voilà où se concentre l’effort. Où sont les sièges sociaux de l’amour ?

Et les super marchés, qu’y a-t-il au rayon surgelés ? Parfois je me tiens là et je regarde un œil d’esturgeon. J’ai de l’affliction pour nous tous.

Nous ne savons pas bien aimer, il y faut des facultés, il faut des départements de recherche, il faut des travailleurs du sexe et des ouvriers spécialisés. Il faut des commerciaux et des bâtisseurs. Il faut des magasins et des chauffeurs-livreurs. De l’offre, de la demande.

Et la division du travail, qu’en savons-nous, pauvres amoureux encore primitifs ?

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 Moi en bagnole. Et dire qu’il y eut un temps où ça crachait et ça calait. L’émotion du rendez-vous raté dans une file haineuse de voitures. Nous valions cher, alors, en imprévus. Le chef de service (y a-t-il encore des chefs de service) nous accueillait d’un sourire, qui lui venait avec ce crachat : ça va vous coûter cher. Le chef de service, lui, avait compris.

Et ce qu’il a fini par nous dire : vous avez raté votre rendez-vous avec votre dame. Notre Société (il a le goût grandiloquent, le chef) perd de l’argent à cause de vous.

Que faisiez-vous, en attendant le dépanneur ? Je l’avoue, Monsieur, je déclamais de la poésie, bien à l’abri dans les plis du temps.

Cela change tout, s’éclaire notre homme. D’ailleurs la dame n’est pas venue, elle a craint un refus. Mais de la poésie ! Nous lui ferons savoir que vous offrez de grandes possibilités. Revenez travailler un de ces jours, nous sommes ravis de compter dans nos rangs un défaitiste charnel.

Sur une idée originale de H&B

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Mon pauvre Samy (se dit Samy), le travail qu’il faut pour avoir une femme, les énervements, l’attente et un beau jour ce sentiment d’avoir gagné sa vie, un grand coup d’air, et plus tard, à peine si ça vous dit quelque chose.

De l’agitation, tout ça. Mais on fait tant et si bien qu’une vie passe.

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Poème du pantalon

Partir un beau matin – le cœur conquérant, l’avenir à soi
Et ne doutant de rien – ce que c’est que la foi
Mais voici le désastre : ton pantalon qui choit…
(garder l’air fier d’un astre, quand les dessous se tirent ?)
L’homme avait oublié sa ceinture
Tenait ses poches, son galure
(car le vent se levait et tout se déglinguait).
Il entra chez le boutiquier
Je voudrais de la corde
Monsieur j’ai cet article en solde
Et en plastique
– je prends, c’est magnifique !
Cherchant une ruelle pour y nouer le fil
Il s’affaire et s’énerve : la corde se défile
Un peu plus loin le pantalon s’affale.
Leçon qui vaut bien un dinar :
Garde tes esprits ou tu seras connard.

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L’amour… est un blog collectif du Laboratoire central. Le pire y côtoiera le moins bon, mais puisque vous êtes prévenus !

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