L’interview (scrupuleusement imaginaire) de Wolfang Schäuble
Graphétique 1, Bernard Mendès
Vous n’aimez pas les Grecs ?
- Je n’y avais pas pensé. Mais puisque vous le dites…
- Le retrait grec de la zone euro reste d’actualité pour vous ?
- C’est l’amateurisme grec qui est d’actualité, donc on peut tout attendre d’un amateur, même un coup de génie. Je crois ainsi vous avoir répondu.
- Diriez-vous qu’Alexis Tsipras est un homme d’Etat ?
- Vous employez des termes un peu trop définitifs. Je dirais que c’est un homme forcé par les circonstances à être habile. Il se débrouille.
- Qu’est-ce que vous voudriez dire sur la crise grecque qui aide à comprendre votre position ?
- Je dirais que les Grecs sont des Levantins, avec ce côté tourbillonnant qu’un Protestant allemand (je le suis) a du mal à apprécier positivement. La rigueur dans l’action et dans la parole n’est pas leur fort. Mais je reconnais qu’ils savent se donner des marges de manœuvre, et qu’ils ont cette force dans la négociation d’être les seuls à connaître leur règle du jeu.
- Vous iriez passer vos vacances en Grèce ?
- Je ne prends jamais de vacances, et dans le rôle du petit baigneur il y a des gens plus doués.
- Vous avez conscience des souffrances que vit la population grecque ?
- J’ai conscience qu’on n’a jamais dit la vérité au peuple grec, et que je dois la vérité au peuple allemand.
- Mais vous admettez qu’on puisse ne pas être libéral, et que le dogme économique puisse être discuté ?
- J’ai du mal à penser que vous êtes sérieux quand vous demandez cela.
- Vous avez la réputation d’être dur…
- Je me sers de ce qui peut être utile dans la réputation qu’on vous fait.
- Vous n’avez aucune amertume ?
- En politique on apprend à être pragmatique et à voir venir. J’ai vu dans ma (très longue) carrière advenir beaucoup de choses qui m’étaient désagréables, mais j’encaisse tout.
- Avec les Français, ça n’a jamais été formidable, n’est-ce pas ?
- Avec les Français ce n’est jamais formidable. Ils nous ont volé le romantisme pour en faire un drame domestique. Ce sont des Italiens qui ont le privilège d’un Etat, d’avoir eu l’histoire d’un Etat. Leur langue reflète cette ambiguïté : elle est juridique et molle. J’aime beaucoup le français, comme on use d’une amante qui a seulement les apparences de la fidélité.
- Cela vous choque qu’on parle aujourd’hui d’impérialisme allemand ?
- C’est une idiotie qui ne me choque pas. L’idéal allemand est celui d’une juste politique, et si pour cela votre Etat s’en sort mieux que les autres, pourquoi dissimuler votre plaisir ? Je sais d’où nous venons, et c’est moi qui ai conçu la réunification allemande. Nous faisons de la chirurgie réparatrice depuis un demi-siècle, cela donne quelques capacités à envisager l’avenir avec fermeté.
- L’Allemagne peut-elle mettre l’Europe à son diapason ?
- L’Allemagne sait que l’Europe croîtra dans la douleur. C’est tout le contraire de ce que les laxistes imaginent : un chèque en blanc pour protéger leur fainéantise.
- Qui sont les laxistes ?
- Aujourd’hui à peu près tout le monde.
- Vous voulez l’Europe ou non ? Ce qui veut dire accepter la différence…
- Je crois être souple par métier – j’adore la politique, c’est elle qui m’a maintenu en vie -. Mais je suis, depuis trop longtemps, un homme de droite. Ce qui veut dire que mon objectif reste l’ordre et la prospérité. Ceux qui en Europe n’ont pas cet objectif n’entrent pas dans mon horizon.
Explications : il ne faut jamais sous estimer l’adversaire, et le caricaturer est un confort passager. W. F., rude adversaire s’il en est, incarne une forme de perfection apoétique qu’il faut savoir comprendre avant de la terrasser, car amener W. F. à nos vues est rigoureusement impossible. D’ailleurs nous ne savons pas exactement ce que nous voulons, lui le sait avec la fermeté qui sied à son espèce, et c’est cela que nous avons à combattre.
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Je n’aime pas les gens. La preuve : je dis, on va à la plage ? Demain on y va ? Levé dès l’aube, je pars avant tout le monde. La plage est à moi, miracle de la lumière non divisée. La mer, je l’aspire, et l’on sait qu’elle ne supporte pas deux spectateurs à la fois. Le ciel, c’est entre lui et moi, quand il voit du monde il s’en va. Le sable, je le foule et refoule, et voyez comme il assourdit le pas unique, sa trace d’énigme. Sinon ce n’est qu’un gravier diminué, aucun moelleux, et je ne parle pas de profondeur. J’ai fait, bien vite, mon petit tour. Je rentre avant qu’ils arrivent. Aller à la plage à plusieurs est éreintant, les préparatifs, les bavardages. Le temps non électrique. Je ne réponds plus au téléphone. Preuve, encore : vous venez dîner ? Je fais à dîner. Et qu’on soit nombreux. Dans ma tête, toutes ces invitations, ces visages. L’amitié, c’est beaucoup. Mais ça fatigue. Les préparatifs, etc., tant de gestes qui usent le temps. Et les bavardages, encore. Je mange pour finir mon fromage devant la télé, content que rien ne trouble l’absence de silence. Et si je dors mal, cela du moins m’appartient sans effort. Toujours, preuve. Elle se met nue, je la possède. Dans ma tête cela va très aisément, c’est si naturel. Sa peau contre la mienne, rien de louche. Elle a quelques mots charmants, pas trop, qui lui restent dans la gorge. Son sourire vacille. Elle se lève, s’en va. Pas un bruit de plus. C’est avant que le temps se brouille : la pulpe de l’étreinte. C’est un art, de ne pas aimer les gens. Et quel respect : si j’allais les déranger.